Intervention de Me. Favarel lors de la Conférence organisée par l'ATDM sur le thème de la saisie conservatoire de navires : l'expérience française

La saisie conservatoire de navires a pour objet l’immobilisation du navire au port, rendant le navire indisponible. C’est une arme redoutable de pression initialement destinée à protéger les créanciers et le crédit maritime, pour inciter le débiteur à s’acquitter de sa dette.

En France, elle se caractérise par la dualité de régime juridique en fonction de la présence ou non, d’un élément d’extranéité. 

Ces deux régimes juridiques ne se cumulent pas et sont alternatifs, contrairement à ce que certains tribunaux jugent actuellement. 

De plus une grande partie des jurisprudences de l’année 2022 sont marquées par la crise russo-ukrainienne et les saisies pratiquées sur le fondement du règlement européen 269/2014 relatif à cette crise. Ces saisies administratives ne peuvent être comparées aux saisies judiciaires pratiquées sur le fondement du Code des transports ou de la Convention de Bruxelles de 1952. 

 Le régime juridique interne (Code des transports)

Lorsque la saisie ne présente aucun élément d’extranéité, le créancier aura simplement à rapporter la preuve d’une créance « paraissant fondée en son principe » en vertu des dispositios du Code des transports applicables. 

Aucune condition d’urgence n’est requise, ni de circonstance menaçant le recouvrement de la créance.

La nature de la créance à recouvrer est indifférente. Il peut donc s’agir d’une créance de pension alimentaire comme de paiement de salaires. Le caractère maritime de la créance est sans objet. 

Le juge  territorialement compétent est celui du lieu de situation du navire. Si aucune action n’est pendante, le tribunal de commerce sera compétent pour un litige entre sociétés commerciales, à défaut ce sera le JEX du tribunal judiciaire. Concrètement, le créancier agira par voie de requête unilatérale. 

La Cour d’appel d’Aix en Provence a justement, en matière sociale, ajouté aux dispositions du code des transports, en rappelant que le créancier devait démontrer que sa créance n’avait ni un caractère éventuel, ni un caractère hypothétique. 

En effet, la notion d’apparence de fondement créance est source de difficultés. Il est donc essentiel que le créancier démontre que sa créance a un degré suffisant de cohérence. Cette précision est particulièrement importante en droit social des marins. 

 Régime juridique international (la Convention de Bruxelles de 1952) :

La Convention de Bruxelles pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, signée à Bruxelles le 10 mai 1952, a été ratifiée par la France et par le Togo en 1958.

Elle fait partie du droit positif français et s’impose au juge français. 

La Convention s’applique quel que soit le lieu de résidence du créancier saisissant à la saisie conservatoire de tout navire battant pavillon d’un État Contractant, ainsi qu’à la saisie des navires battant pavillon d’un État non contractant (même à des navires sans pavillon), dès lors que la saisie est demandée dans un État contractant (article 8 de la Convention de 1952). 

Seul importe pour les rédacteurs de la Convention de 1952, le caractère maritime de la créance.

Pour déterminer si une créance est non maritime, il faut se référer à la liste limitative des créances maritimes énoncées par le premier article de la Convention 

Il suffit au créancier saisissant d’alléguer une créance maritime, c’est-à-dire une créance même simplement « vraisemblable ». (CA Caen 9 octobre 2003 navire Clipper Cheyenne – DMF 2005 page 131). 

Cette notion de vraisemblance, comme celle d’allégation donne souvent lieu à interprétation dans le cadre des procédures en main levée de saisie. 

En effet, le juge des requêtes se laisse facilement convaincre du caractère maritime, dans le cadre d’une présentation unilatérale par le requérant. Tel n’est plus le cas lorsque le débat contradictoire s’instaure et que le débiteur saisi est entendu à son tour pour contester le caractère maritime de la créance, dans le cadre d’une demande de main levée d’une saisie. 

La jurisprudence française est relativement constante sur l’interprétation de la notion d’allégation d’un droit ou d’une créance maritime, dès lors que la preuve est rapportée que la créance est née d’une activité, même partiellement, maritime (Navire Vendredi 13 DMF 1998 page 260 ; Navire Pel Jasper DMF 2004 page 47). 

En ce sens, une créance de prêt de somme d’argent accordé à un hôtelier suisse pour réparer un navire, a pu être considéré comme maritime (Navire Zamoura of Zermatt - 1996).

Au contraire, il a été jugé qu’une réservation de place sur un paquebot pour une croisière (pour voyage non défini), sans que cette réservation ne s’accompagne d’une réservation de fret n’est pas une créance maritime au sens de l’article 1d de la Convention de 1952 (TC Marseille 5 février 2013, Navire Princesse Danae).

Un créancier terrestre, banque qui ouvre un crédit simple à un armateur, ne peut saisir un navire sur le fondement de la convention de 1952, s’il ne prouve que ce crédit se rattache à un navire spécifique.  

La jurisprudence apprécie si la créance est affectée à l’exploitation/l’utilisation d’un navire en particulier (le navire objet de la saisie).

D’où l’importance de l’article 3 de la Convention, lequel fait référence à la saisie du « navire auquel la créance se rapporte ». Cette dernière notion de rattachement de la créance à un navire spécifique, permet d’éviter les saisies abusives, notamment en matière de navire affrété, redélivré voire revendus amiablement avec changement de nom. Cette question ouvre le débat sur les privilèges maritimes qui devra donner lieu à une autre conférence (Obligation In Rem).  

La Convention autorise également la saisie de tout autre navire appartenant au même débiteur (Article 3 §1) CA Douai 8 février 1990 Navire Gallia DMF 1992 page 359).